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les chroniques "défense de la langue"

de notre revue

N°311 (décembre 2022)

José Claveizolle

Figures de style

« Après avoir sauté sa belle-sœur et le repas du midi, le Petit Prince reprit enfin ses esprits et une banane. » En disant cela, l’auteur, le regretté Pierre Desproges, a fait rire la France entière – du moins celle des bons vivants. Eut-il annoncé qu’il allait commettre un zeugme, n’aurait-il pas fait fuir la plupart des susdits ? Pourtant, cette « juxtaposition d'éléments qui ne se situent pas sur le même plan syntaxique ou sémantique » constitue bien un zeugme (ou zeugma).

Ainsi, tel Monsieur Jourdain (Le bourgeois gentilhomme), pratiquons-nous, parfois sans le savoir, des figures de style aux dénominations souvent absconses.

Par exemple, lorsque, les yeux cernés devant la machine à café, vous vous lamentez en disant : « Mon patron est comme un bébé, il hurle et me réveille toutes les demi-heures », vous faites une analogie, c'est-à-dire une « association d'idées entre deux ou plusieurs objets de pensée essentiellement différents.

De même, quand le grand Tristan Bernard prétend que « un journal coupé en morceaux n'intéresse aucune femme, alors qu'une femme coupée en morceaux intéresse tous les journaux », il use d’un chiasme, (couplage, grammatical ou lexical ou sémantique de deux éléments d’une même phrase). Quant au célèbre vers de Racine : « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? » (Andromaque), on ne parle pas de répétition mais d'allitération. Un procédé employé de manière plus légère par Boby Lapointe qui chantait « Ote ta toque et troque ton tricot tout crotté contre un tacot coté quatre écus tout comptés » (Ta Katie t'a quitté). On pourrait dire, usant d’une litote (figure de style qui feint d’atténuer une vérité que l’on affirme) que les styles de ces deux auteurs sont assez dissemblables. Enfin, concluons par un parallélisme (ou hypozeuxe) du dramaturge Jacques Deval : « Dieu aima les oiseaux et inventa les arbres ; l'homme aima les oiseaux et inventa les cages. » Ce procédé est une manière « de juxtaposer deux phrases ayant une structure identique, la reprise du même patron syntaxique a une valeur démonstrative ou émotive… »

Source : Michel Feltin-Palas – L’Express

Les figures de style, de Catherine Fromilhague, éditeur Armand Colin

Woke

Difficile d'échapper au mot woke ! Ce terme anglophone, qui se réfère notamment à différentes luttes pour l'égalité des droits, est régulièrement utilisé par des politiques et polémistes de la droite conservatrice pour dénoncer l’idéologie supposée de la culture de l’effacement ou « cancel culture ». Mais de quoi parle-t-on exactement ? Il faut remonter aux années 1950 pour observer la première utilisation du terme aux États-Unis par des activistes noirs défendant l'égalité. Comme l'explique l'écrivain William Melvin Kelley dans un article du New York Times datant de 1962, être « woke » est alors une invitation à être conscient de sa propre place, en tant qu'américain noir dans la société. Si le mot ne fait irruption dans les médias grand public qu'en 2014, dans la foulée des émeutes de Ferguson, c’est rapidement qu’il passe dans le langage courant. Le terme devient un mot fourretout qui permet à son locuteur d'y glisser le sens qu'il y souhaite.

Bref, si le mot vous saute à la face, méfiez-vous ! et songez à la citation de Nicolas Boileau : « Ce que l'on conçoit bien, s'énonce clairement / Et les mots pour le dire arrivent aisément. »

Source : Fabien Jannic-Cherbonnel, France Info

Vers une nouvelle loi Toubon ?

Madame Hélène Carrère d’Encausse, Secrétaire perpétuelle de l’Académie française, est intervenue à la télévision pour affirmer avec force son intention de déposer au nom de l’Académie un recours en Conseil d’État contre l’illégalité de la nouvelle carte d’identité, suivant en cela la démarche de Xavier Darcos. L’illégalité est en effet double. D’abord par la présence du drapeau européen sur ladite carte puisque la Constitution, en son article 2, mentionne le seul drapeau français. Ensuite, la loi Toubon (n° 665 du 4 aout 1994) dispose que les documents officiels doivent être traduits en au moins deux langues étrangères, que la directive européenne pertinente ne demandait pas une traduction complète, et ne précisait pas dans quelle langue de l’Union Européenne la traduction devait être faite. L’argument du ministère de l’Intérieur invoquant le manque de place pour respecter la loi Toubon ne peut qu’être rejeté puisque les gouvernements allemand, autrichien, et d’autres pays, ont pu, sur la même carte, traduire en anglais et en français. Le Haut Conseil international de la Langue française et de la Francophonie (HCILFF) qui regroupe depuis le 18 juin 2020 vingt-neuf associations de France et six associations extrahexagonales, a décidé de lancer une nouvelle esquisse de loi plus protectrice, en s’entourant de spécialistes, et en réunissant des parlementaires de divers bords pour la porter, et la présenter aux autorités compétentes et aux media.

Source : Albert Salon, Secrétaire général du Haut Conseil international (HCILFF), président d’honneur d’ALF

 

L’intelligence artificielle au service de la langue

Le traitement des langues est au cœur de l’intelligence artificielle. Soutenu par la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) et développé par l’association des professionnels des industries de la langue (APIL), le site Internet demotal.fr a été présenté lors du Forum « Innovation, technologies, plurilinguisme » organisé par le ministère de la Culture en février 2022 dans la cadre de la présidence française de l'Union Européenne. Ce site propose d’apporter des réponses sur des sujets aussi variés que la reconnaissance vocale, la traduction automatique, dans différents domaines tels que la citoyenneté, les médias, la culture, la santé… La plate-forme permet également d’entrer en contact directement avec des éditeurs de solutions automatisées qui permettent, par exemple, de détecter le plagiat dans les médias en ligne ou de mieux choisir les correcteurs orthographiques.

L’APIL rassemble et représente les industriels, personnes physiques et morales, du traitement automatique des langues. Elle vise à faire connaitre les technologies et solutions issues de la recherche académique ou industrielle, leurs usages, leurs apports aux systèmes d’information et aux processus métiers, les meilleures pratiques pour leur valorisation.

Source : ministère de la Culture, DGLFLF

Diversité linguistique et langue française en Europe

En 2021, un groupe de personnalités indépendantes dénommé « Diversité linguistique et langue française dans les institutions européennes » présidé par Christian Lequesne, ancien directeur du Centre d'études et de recherches internationales (CERI) et professeur de science politique à Sciences Po Paris, a identifié vingt-six  recommandations opérationnelles qui pourraient être portées par la France auprès des institutions européennes et des États membres pendant sa présidence de l’Union européenne du premier semestre 2022. Le rapport a été remis à Clément Beaune, secrétaire d’État chargé des Affaires européennes, et à Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État chargé du Tourisme, des Français de l’étranger et de la Francophonie.

L’intégralité du document peut être consulté en suivant le lien : https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/rapportlequesne_complet_avec_couverture_-_10.21_002__cle055dd6-1.pdf

 

N°310 (septembre 2022)

José Claveizolle

Les Pourquoi du français

Pourquoi met-on un « s » au pluriel des noms ? Pourquoi dit-on « appeler », mais « j’appelle ? » Pourquoi le « e » se prononce-t-il [a] dans femme, solennel, évidemment ? Pourquoi dit-on « le fils de César », mais « un fils à papa » ? Certaines questions existentielles jalonnent le chemin tortueux de notre existence. Qui suis-je ? D’où viens-je ? Où vais-je ? Et surtout : pourquoi dit-on « des chevaux » ? En tant que Françaises et Français, c’est notre destin : nous sommes parfois tourmentés ou intrigués par notre propre langue. Mais peut-être pouvons-nous chercher les raisons de ces « délices » du quotidien afin de les savourer ? Dans son livre Les pourquoi du français Julien Soulié répond avec humour et érudition à 100 questions que nous nous sommes tous posées sur la langue française. Que les règles (absurdes) du français relèvent de changements de prononciation et d’usages selon les époques, ou de choix arbitraires de grammairiens parfois frustrés, les pourquoi du français n’auront plus de secrets pour vous !

Les pourquoi du français Julien Soulié, First édition, ISBN 978-2-412-07686-6, 16,95 €

 

Ce n’est pas la lumière qu’on allume, mais la lampe.

Les barbarismes, pléonasmes, bourdes de syntaxe et autres néologismes abusifs envahissent fréquemment nos phrases. Il suffit d’entendre l’une de ces fautes inlassablement répétées : « Actuellement en cours », « fermer la lumière », entre autres. « Fermer et ouvrir la lumière » sont acceptés par le dictionnaire Larousse comme synonymes « d’ouvrir et d’éteindre ». Ces tours ne sont pas condamnables, «  mais on gagnerait à leur substituer des équivalents plus précis, surtout dans un registre plus soutenu », note la Banque linguistique de dépannage. Cette dernière précise que la formule « allumer la lumière » avait d’ailleurs été condamnée jadis, car ce n’est pas la lumière qu’on allume, mais la lampe. Autre remarque : le verbe « faire ». Rares sont les verbes qui connaissent un tel succès. Ainsi, on peut tout aussi bien faire le Louvre en deux jours, faire l’Espagne en trottinette, faire deuxième au tour de France ou faire ses dents (pour les plus jeunes). Emprunté au latin facere, le verbe signifie « réaliser quelque chose, créer, commettre ». L’idée de « réaliser un musée » ou de « créer un pays » laisse songeur…

Source : Maguelonne de Gestas, journaliste au Figaro

Nota :

La Banque linguistique de dépannage est un service de l’Office québécois de la langue française. Le site (À propos de l’Office — Mission et rôle [gouv.qc.ca]) est en cours d’actualisation pour tenir compte du fait que : « Le 1er juin 2022, la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, a été sanctionnée. C’est à cette date que la majorité des modifications apportées à la Charte de la langue française sont entrées en vigueur. Cette loi constitue une réforme majeure de la Charte, qui est en vigueur depuis 1977 ».

 

N°309 (juin 2022)

José Claveizolle

La vie shiftée des ados

Lorsqu’un adolescent reste allongé des heures sur son lit, les yeux dans le vide, il ne « glande » pas, il shifte. Si le verbe shifter ne vous dit rien, c’est normal : il s’agit de la dernière trouvaille des 13–18 ans, majoritairement des filles, pour s’évader de ce monde d’adultes qui ne les « calculent » pas.

Le shift est une sorte de méditation profonde qui permet de quitter la current reality (CR) — la réalité actuelle — pour rejoindre leur desired reality » (DR) — la réalité désirée, ou rêvée. Cette nouvelle manière de s’exprimer est issue de l’application Tik Tok, le réseau social préféré des adolescents, dont l’usage s’est amplifié avec les confinements liés à la crise sanitaire. Tout commence par un travail d’écriture : description précise et détaillée de son personnage rêvé et de son environnement imaginaire. Reste ensuite à accéder à la méditation par une méthode telle que la méthode Raven — allongé sur le dos sans bouger — ou celle du train — compter jusqu’à cent pour accéder au quai de sa nouvelle réalité. « Mieux qu’un rêve, le shift est proche de la transe chamanique », assure Julie Akasha, youtubeuse de son état et fière de drainer plus de cent-mille abonnés. Pour la psychanalyste Sophie Braun, les adeptes de ces voyages oniriques trop répétitifs, s’exposent au syndrome de Peter Pan qui se caractérise par un refus de grandir. Même si le phénomène de s’identifier à un personnage de fiction a toujours existé, en particulier chez les plus jeunes, aujourd’hui, il prend une dimension inquiétante avec la profusion d’échanges sur Internet réalisés sans contrôle.

Source : Sophie Carquain (Version Femina)

 

Cinq anglicismes qu’on ne voudrait plus entendre au bureau

La langue française ne manque pas de mots, et pourtant, il est fréquent dans les open-space, que l’on prenne un call au lieu d’un appel, que l’on deale avec son associé plutôt que de négocier. Ailleurs, on forwarde un mail en boudant le verbe transférer. Maguelonne de Gestas, journaliste au Figaro, revient sur ces anglicismes qui fusent au bureau, elle préconise de les bannir… définitivement !

 « Demain, je vais à un workshop avec ma team. » Aussi inutile qu’ingrat, cet anglicisme est de plus en plus prisé . Pourquoi ne pas parler de séminaire, ou d’atelier de travail, comme le préconise FranceTerme ?

On connait le succès fulgurant de la deadline dans les entreprises, particulièrement à l’oral. Pourtant, les équivalents ne manquent pas : « Échéance, date d’échéance, limite, dernière limite, date limite, heure limite, date butoir… » Il est aussi possible de dire « date d’expiration, délai, dernier délai, délai de rigueur, etc. » ainsi que le souligne la Banque de dépannage linguistique de l’Office québécois de la langue française (Banque de dépannage linguistique — Office québécois de la langue française [gouv.qc.ca].

Quant à cette autre antienne : Work in progress, suivant le contexte, les traductions possibles sont nombreuses : le travail n’est pas achevé, la création est en cours…, bref, il y a encore du boulot !

Être quelqu’un de corporate, c’est avoir l’esprit d’équipe, la culture ou l’esprit d’entreprise. Mais user de ce terme lors d’un entretien d’embauche peut s’avérer risqué si l’interlocuteur est rétif aux anglicismes.

Après le corporate, viendra peut-être le temps du team building. Les entreprises y accordent de plus en plus d’importance, pour renforcer les liens dans une équipe de travail. Rien n’empêche pour autant de parler de cohésion, de consolidation d’équipe, de construction ou de renforcement d’équipe. Là encore, pas besoin de tremper le doigt dans le pot de confiture du globish !

Source : Maguelonne de Gestas, lefigaro.fr

 

Du bon usage des expressions toutes faites

« À tirelarigot », « À la queue leu leu », « Boire du petit-lait », voici des exemples d’expressions toutes faites et bien connues qui expriment l’esprit et la saveur de notre idiome national. Toutefois, aussi gouleyantes, pittoresques, insolites, truculentes soient-elles, il en est d’autres qui sont parfois employées à mauvais escient ou, à tout le moins, mal comprises. En voici quelques exemples :

« Faire des coupes sombres » : s’emploie de manière fautive, à contresens, pour désigner une forte réduction de budget, d’effectif… par analogie à un grand abattage d’arbres dans une plantation ou une forêt. Eh bien, c’est le contraire ! Comme le rappelle l’Académie française, on parle d’une « coupe sombre » quand on abat seulement une poignée d’arbres, une opération qui, de fait, laisse la forêt dans l’obscurité. Seul l’abattage d’un grand nombre de troncs permet de faire entrer la lumière dans le sous-bois et, dès lors, il faut alors parler de « coupe claire ».

« Faire long feu » : cette expression fait référence au temps des premières armes à feu. Lorsque la poudre y était mal introduite, il arrivait qu’elle se consume lentement et empêche le départ du projectile. On disait alors que le coup avait fait long feu, autrement dit qu’il s’était soldé par un fiasco. Sans être militaire de carrière, on comprend donc que « faire long feu » est synonyme d’échec et, a contrario, « ne pas faire long feu » de réussite.

« Tirer les marrons du feu » : cette expression est souvent utilisée dans le sens de « être le gagnant d’une opération ». Or, c’est précisément le contraire, comme on peut le constater dans la fable de La Fontaine, Le Singe et le Chat. Lorsque vous tirez les marrons du feu, cela signifie en effet que vous vous brulez les doigts pour qu’un autre se délecte desdits marrons en profitant de votre travail.

Source : Michel Feltin-Palas (L’Express)

 

La manifestation du 20 mars à Paris

Pour clore cette nouvelle contribution à la défense de notre langue, il convient d’évoquer la manifestation du 20 mars dernier à Paris.

Par ce bel après-midi de dimanche ensoleillé, face à la Bibliothèque Sainte-Geneviève et à l’ombre du Panthéon où reposent de nombreux chantres de notre langue, qui d’ailleurs ne manquèrent pas d’être appelés à la rescousse par le stentor qui se fit le portevoix de quelques-uns de leurs poèmes ou extraits de pièce de théâtre, se tenait, dans le cadre du mois de la Francophonie, une manifestation destinée à défendre le français et à vilipender les nombreuses attaques que notre langue subit.

Sept représentants du CLEC étaient présents ! Albert Salon, en grand ordonnateur de la manifestation, s’efforçait d’accueillir chacun des représentants des différentes obédiences avec quelques mots aimables.

Plus tard, il laissa le micro à nombres de personnalités. Certaines intervenaient en tant que représentantes d’une association de défense, DLF [Défense de la langue française], ALF [Avenir de la langue française], COURRIEL, d’autres s’exprimèrent au titre d’une institution ou en tant que francophone, hors de France, et confrontés à des difficultés pour préserver leur droit à s’exprimer en français, ainsi, un Kabyle, et un Wallon prirent-ils la parole.

Les revendications maintes fois exprimées, que l’on peut résumer en disant : respectons notre langue, respectons, y compris dans les plus hautes sphères de décisions, nos lois en ce domaine… furent martelées à l’envi.

Avant que la foule, hélas moins dense que ne l’auraient mérité les efforts déployés par les organisateurs n’entreprenne une marche revendicative autour de la place des Grands-Hommes, d’autres intervenants exposèrent les difficultés, fort concrètes, auxquelles sont confrontés les scientifiques, les intellectuels, les étudiants… c’est-à-dire tous ceux qui veulent apprendre, qui veulent publier et qui n’ont d’autres choix que de le faire en anglais. Le monde ouvrier n’est pas épargné par cette manie qui va bien au-delà du seul usage d’une langue, ce choix, porté par certaines élites, met hors circuit ceux qui ne voudront pas monter dans ce train en marche vers une langue unique internationale.

Que l’on se rassure, les instances européennes, à cause de ce même usage abusif, pour ne pas dire exclusif, ne furent pas épargnées par le réquisitoire.

 

N°308 (mars 2022)

 

​​La guerre des sexes n’aura pas lieu

​​Les plus anciens d’entre nous se souviennent de cette règle de grammaire qui énonce : « le masculin l’emporte sur le féminin ». Bien que, comme le disait l’académicien Jean Dutour « en français les mots ont un genre, mais n’ont pas de sexe » ; il n’empêche que les mouvements féministes du xxıe siècle se sont emparés de cette formulation pour en faire une atteinte à l’égalité des sexes. Si l’écriture, dite inclusive (les Biterois.e.s sont heureu.ses.x), dénoncée par l’Académie française et les plus hautes autorités du pays, tente, insidieusement de se faire une place, pour l’heure, grâce notamment aux associations de défense du français qui sont vent debout contre cette déformation de notre langue, elle n’emballe pas la foule « des Français ordinaires ». La hache de guerre des sexes n’est pas enterrée pour autant. Les néologismes fleurissent ! Ainsi, le pronom neutre inclusif de la troisième personne « iel », dont on a beaucoup parlé. Il a fait son apparition dans le dictionnaire en ligne, Le Robert. Il vise à désigner une personne dont on ne connait pas le genre, ou pour désigner une personne non binaire (qui ne se considère ni comme un homme, ni comme une femme). Si le sujet mérite d’être évoqué avec ouverture d’esprit et empathie, le terme a encore du chemin à parcourir pour être accepté… d’autant qu’il poserait des difficultés d’accords grammaticaux.
Dans une veine thématique semblable, le mot anglais Queer, adopté par nos plus vaillants locuteurs, et qui signifie « étrange », « peu commun » ou « bizarre » est utilisé pour désigner l’ensemble des minorités sexuelles et de genres. C’est-à-dire des personnes ayant une sexualité ou une identité de genre différentes de l’hétérosexualité.
Pour éviter l’utilisation de catégorisations telles que transgenre, transsexuel, et transsexualisme, qui sont des termes médicaux anciens, abandonnés par la plupart des médecins et considérés comme pathologisants par ceux qui militent pour la reconnaissance de ces différences, certains parlent désormais de « cisidentité » [terme utilisé pour exprimer toutes les variantes des caractéristiques sexuelles, des orientations sexuelles et des identités du genre]. La personne est alors « cisgenre » ou « cissexuelle » (abrégé en cis).
Derrière ces termes dans lesquels il est quelquefois difficile de se retrouver, n’oublions pas qu’il y a des êtres humains, que parfois ils ou elles souffrent de leur différence… Là est peut-être l’essentiel du « problème ».

Source : dictionnaire.orthodidacte.com


 

Passe (partout) VACCINAL

​​La triste réalité nous amène à être contrôlés et déclarés négatifs au virus COVID-19 pour accéder à la plupart des lieux ouverts au public. Ce faisant, on nous incite à présenter un « pass vaccinal » qui atteste de notre vaccination. Une nouvelle occasion manquée par nos communicants d’utiliser le mot français « passe », comme jadis nos gardiens d’immeubles utilisaient un passepartout ou les amateurs de festivals se munissaient, naguère, d’un « passe-culture ».
Voici ce qu’en disent les Sages de l’Académie française dans une publication du 1er juillet 2021 :
« Le nom pass est un anglicisme à proscrire. Il pourrait en français être remplacé par le mot féminin passe, qui peut désigner un permis de passage, un laissez-passer. On lit ainsi dans les Mémoires d’un touriste, de Stendhal (1838) : « Le sous-préfet […] m’a donné une passe pour l’extrême frontière» et dans Le Martyr calviniste, de Balzac
(1841) : «Nul ne quitte la ville sans une passe de monsieur de Cypierre, fut-il, comme moi, membre des États.»
Ce même nom désigne aussi un titre de circulation gratuit. Dans Passe-temps (1929), Paul Léautaud enviait les «grands auteurs, et riches, qui voyagent en première classe, et sans payer, grâce à des passes de chemin de fer qui leur sont données.» Au Québec, une passe désigne un titre de transport ou une carte d’abonnement.
Au sens de laissez-passer, la passe, d’emploi un peu désuet, pourrait avantageusement être remplacée par un
masculin : le passe, abréviation de passepartout. L’une comme l’autre de ces formes rendrait facilement le sens contenu aujourd’hui dans l’anglicisme pass, et ce, d’autant plus que le verbe to pass est emprunté du français passer ; à peu de frais, le pass vaccinal et le pass culture deviendraient ainsi la ou le passe vaccinal et la ou le passe culture. » Sans oublier notre Passe carmillon !

Source : https://www.academie-francaise.fr/dire-ne-pas-dire/neologismes-anglicismes

L’anglais perçu comme une langue moderne…

​​« L’anglais est aujourd’hui perçu comme une langue moderne fournissant un lexique plus concis et plus percutant que le français. La morphologie d’un nouveau terme joue un rôle important dans sa démocratisation et les termes français, souvent considérés trop longs, ont plus de difficulté à intégrer notre vocabulaire. De plus, la fréquence d’utilisation d’un anglicisme jumelée au temps qu’il a fallu pour la création d’un mot équivalent en français peut aussi avoir un impact sur son succès. Il est en effet plus difficile de changer les choses ancrées dans nos habitudes. » Voilà ce qu’explique Sophie Vignoles, experte et responsable didactique de Babbel, système d’apprentissage des langues en ligne qui propose un site Internet ainsi qu’une application pour téléphones intelligents et tablettes destinés à l’apprentissage payant des langues.
Dans un souhait de limiter la prolifération de ces anglicismes, d’enrichir le français et de coller au plus près à l’évolution des terminologies, la Commission d’enrichissement de la langue française, placée sous l’autorité du Premier ministre, a publié une liste de quatorze nouveaux termes traduits en français.
Parmi ceux-ci, nous avons relevé :
Microrécit vidéo pour story (vidéo de format très court, mise en ligne pendant une période limitée, qui est utilisée sur les réseaux sociaux pour mettre en récit la vie quotidienne de son auteur),
Mot-dièse pour hashtag (symbole qui précède un mot-clé indispensable pour trouver du contenu à travers le monde numérique, mais aussi pour accroitre la portée et la visibilité de sujets importants). D’après les typographes, on devrait utiliser mot-croisillon.
Divulgâcher (mot-valise entre divulguer et gâcher) pour spoiler (lorsque le dénouement clé d’une œuvre est dévoilé avant que l’on ait eu le temps de le découvrir). Un petit coup d’œil sur son étymologie révèle que le mot spoiler serait directement issu de l’ancien français « espillier », la boucle est bouclée !
Fenêtre intruse pour pop-up (fenêtre d’écran surgie de nulle part devant la fenêtre de navigation). Il faudra noter que toutes ces fenêtres ne sont pas forcément publicitaires ou intruses.


Source, http://www.culture.fr/franceterme

Retour au plurilinguisme dans l’Union européenne  ?

​​La France exerce la présidence du Conseil de l’Union européenne du 1er janvier au 30 juin 2022. Après les présidences portugaise puis slovène en 2021, la France, membre fondateur de l’Union européenne, assure la 13e présidence du Conseil, mais la première depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne le 1er décembre 2009.
Albert Salon, ancien ambassadeur, secrétaire général du Haut conseil international de la langue française et de la Francophonie (HCILFF), y voit « un espoir pour le français et le retour au plurilinguisme dans l’Union européenne ».
Il explique : « Depuis l’entrée de la Grande-Bretagne en 1973 au sein de la Commission européenne, l’empire a tout fait pour y établir l’hégémonie de sa langue. Au début de 2020, avec la confirmation par Londres du Brexit, la volonté de Jean-Claude Juncker, homme d’État luxembourgeois et président de la Commission européenne de 2014 à 2019, et quelques autres d’employer l’allemand et le français s’évanouit. Plus question de contester la domination de l’anglais ! Foin du droit européen lui-même inscrit dans la charte linguistique de 1958. Foin de la perte de légitimité de la langue qui n’était plus la langue maternelle que de 1 % de la population de l’Union. Alors que le Conseil européen des chefs d’État était seul compétent pour veiller au droit et à la légitimité, la Commission décida seule que ses réunions internes de travail allaient se tenir en anglais comme «langue commune», c’est-à-dire quasi unique langue de travail.»
Le Haut conseil international de la langue française et de la Francophonie, réseau informel créé le 18 juin 2020, composé aujourd’hui de trente-quatre associations (vingt-neuf françaises, dont le CLEC), et de cent-quatre-vingt-deux personnalités, toutes représentatives de la diversité des familles politiques de ses membres a réagi vigoureusement. Voici, parmi d’autres, l’un des souhaits qu’il exprime : « Nous voulons imaginer notre président présentant, en français, dans son discours du 20 mars 2022, journée mondiale de la Francophonie, un programme ambitieux de défense de la langue française et du multilinguisme. »
Attendons, et espérons !


José Claveizolle

 

N°307 (décembre 2021)

 

 

​​Les idiots utiles de l’impérialisme américain

​​On l’oublie souvent, la langue est un instrument d’influence des États : le latin du temps de l’Empire romain, l’espagnol et le portugais en Amérique latine, l’arabe au Proche-Orient, le français, au Maghreb et en Afrique de l’Ouest... Les États-Unis en ont parfaitement conscience, comme l’a révélé Robert Phillipson dans un ouvrage intitulé Linguistic Imperialism (Impérialisme linguistique) publié en 1992 : « L’anglais doit devenir la langue dominante et remplacer les autres langues et leurs visions du monde. » Une uniformité culturelle qui s’oppose directement à notre modèle européen fondé sur l’enrichissement par la pluralité, dont témoigne sa devise : « Unie dans la diversité. » Aussi néfaste soit-elle, la politique américaine a pour elle le mérite de la cohérence : tout empire, fût-il spirituel, cherche à défendre ses intérêts. « Contrôler la langue offre bien plus d’avantages que prendre des provinces ou des pays pour les exploiter » (Sir Winston Churchill).

Washington sait pertinemment que Disney, Netflix, Apple et les autres constituent les meilleurs moyens pour conquérir les esprits et écouler ses marchandises. On ne peut en dire autant de l’Union européenne qui, malgré le Brexit, s’emploie au contraire à dérouler le tapis rouge devant l’anglais, la langue du pays qui vient de la quitter et de la puissance qu’elle prétend concurrencer ! On ne peut pas non plus en dire autant de la France dont une grande partie des « élites » croient du dernier chic de multiplier les anglicismes, jouant ainsi le rôle d’idiots utiles de l’impérialisme américain. Google, Amazon et les autres n’en demandent pas tant.

(Source, La lettre de l’Express — Sur le bout des langues — Michel Feltin-Palas)

 

Le français, langue officielle du Québec

Le gouvernement québécois propose d’inscrire deux nouveaux articles dans la Loi constitutionnelle canadienne pour reconnaitre que les Québécois forment une nation et que le français est la langue officielle du Québec. Une source gouvernementale précise que la nouvelle version de cette loi, adoptée pour la première fois en 1969, maintiendra « les obligations du gouvernement fédéral envers les minorités de langues officielles, dont la minorité anglophone du Québec ». Cette reconnaissance de la place du français dans la Belle Province « constitue un geste sans précédent de la part du gouvernement Trudeau », souligne le quotidien québécois. D’autant que « tous les gouvernements libéraux précédents se sont fait d’abord et avant tout les apôtres du bilinguisme officiel d’un bout à l’autre du pays ». La Presse rappelle que cette initiative survient après qu’Ottawa a reconnu que le français était en recul au Québec.

(Source : Courrier international — Martin Gauthier)

 

Les noms sans féminin

La phrase « Elle avait été le témoin de l’accident » ne semble choquer personne, pourtant le mot « témoin » désignant ici une femme (« elle ») reste obstinément au masculin. Dans le chemin (combat ?) de la féminisation des termes destinés à pallier la négligence coupable de nos linguistes, voici quelques exemples qui demeurent souvent autant de sources de discussion. Certaines professions se sont bien accommodées des deux genres comme architecte, commissaire, détective, diplomate, juge, peintre, pilote, médecin.

D’autres termes, déjà plus ou moins en usage, ont été « officiellement » féminisés (voir notamment le rapport de l’Académie française adopté lors de sa séance du jeudi 28 février 2019, consultable sur le site de l’Académie). Citons, au débotté : auteure, cheffe, défenseure, écrivaine, ingénieure, professeure…

Enfin, il y a ceux (termes et fonctions…) qui posent problème, par exemple : acquéreur, agent, agresseur, armateur, assesseur, bâtonnier, censeur, gourmet (non : gourmette, ça ne va pas être possible), imposteur, imprimeur, mannequin (et pourtant, il s’agit d’une profession majoritairement féminine), possesseur, vainqueur… Fort heureusement la langue française dispose de nombreux équivalents !

 

Treize propositions de l’Observatoire européen du plurilinguisme
pour la présidence française de l’Union européenne 2022

Pour l’Observatoire européen du plurilinguisme (OEP), la présidence française de l’Union européenne pour le premier semestre 2022 est une occasion exceptionnelle de faire avancer le plurilinguisme d’une manière durable. Né des premières Assises européennes du plurilinguisme en 2005, l’OEP travaille sur les voies et moyens de faire respecter et de promouvoir, en Europe et dans le monde, le plurilinguisme et la diversité linguistique et culturelle. À cet effet, il a formulé treize propositions à l’attention du groupe de travail animé par Christian Lequesne, universitaire français, ancien directeur du Centre d’études et de recherches internationales (CERI) et professeur de science politique à Sciences Po Paris.

Parmi ces propositions nous avons retenu celles-ci :

« Élever le niveau en langues des fonctionnaires européens » (proposition n° 2)

On ne peut qu’être étonné du faible nombre de langues aux concours d’entrée dans la fonction publique des institutions européennes. La moindre des choses serait de se mettre en cohérence avec les conclusions en matière de langues du Conseil européen de Barcelone : deux langues étrangères exigées au concours d’entrée, et trois langues pour obtenir une promotion. Il n’est pas difficile de comprendre qu’une mesure de cette nature serait un puissant levier pour faire évoluer les pratiques et assurer un rééquilibrage entre langues officielles au sein des institutions.

« Abolir le monopole de l’anglais dans les relations internationales » (proposition n° 3) 

Quand un organe des institutions européennes, que ce soit de la Commission, du Conseil ou du Parlement, entretient des relations avec un pays dont l’anglais n’est pas langue officielle, il convient de privilégier la langue officielle de ce pays quand celle-ci est une langue officielle de l’UE. Quand le pays ou groupe de pays a le français, l’espagnol ou le portugais pour langue officielle, ces relations doivent être établies en français, en espagnol ou en portugais.

« Améliorer la plateforme europa.eu en la rendant plus plurilingue » (proposition n° 7)

Nota : cette plateforme, qui permet de s’informer sur le fonctionnement des institutions, donne accès à de nombreuses informations relatives aux droits des citoyens européens en termes de consommation, de voyages, d’études à l’étranger... ; elle permet d’accéder à une documentation variée ; il est possible de s’informer sur les thèmes tels que la protection des données informatiques, la vie culturelle… (https://ec.europa.eu/france/about-us_fr)

Au cours des dernières années, des efforts ont été faits pour rendre la plateforme europa.eu plus lisible par les citoyens et par toutes les personnes et organisations qui suivent les questions européennes. Néanmoins, dès que l’on dépasse les premières pages qui sont majoritairement dans toutes les langues officielles, la proportion de textes en anglais seulement augmente, et les textes en trois langues sont très peu nombreux. La Commission devrait avoir pour objectif que tous les textes soient en au moins trois langues et que le nombre de langues soit rapidement augmenté à la faveur du développement de la traduction automatique.

« Poursuivre et développer les projets d’universités européennes » (proposition n° 11)

L’innovation que représente le projet d’universités européennes comporte un volet linguistique auquel l’OEP attache une importance particulière : le fait que les étudiants qui partent à l’étranger suivent des cours en au moins deux langues. Cette clause a pour objet de lutter contre le fait de dispenser des formations complètes tout en anglais, comme le font de nombreuses universités, écoles de management et d’ingénieurs, et ce, dans la plus parfaite illégalité.

Ces propositions visent à favoriser le plurilinguisme en permettant à chaque utilisateur (représentants de l’UE et citoyens des différents pays), à l’aide des outils informatiques et de ceux de traduction instantanée qu’il convient de développer, de pouvoir s’exprimer et lire dans la langue de son choix parmi les vingt-huit langues officielles.

Le détail de ces propositions peut être consulté dans la lettre d’information n° 88 de l’OEP, le lien est disponible sur le site du CLEC (www.clec-uaicf.fr).

José Claveizolle

N°306 (septembre 2021)

 

​Les mots qui entrent dans le Petit Larousse 2022

Les cent-soixante-dix nouveaux mots ou sens ajoutés dans la toute nouvelle édition du Petit Larousse sont le reflet exact de l’année que nous venons de passer en intégrant une multitude de termes qui sont nés avec la pandémie de Covid-19 et qui sont entrés dans le langage courant : cluster (« foyer de contagion », qui reste néanmoins un anglicisme) ; quatorzaine (période d’isolement de quatorze jours par analogie à la quarantaine) ou l’adjectif asymptomatique, substantivé (qui ne présente pas de symptômes cliniques). La modification de nos habitudes de vie liée à la crise sanitaire a aussi donné naissance à de nouveaux mots : télétravail et ses déclinaisons. D’autres mots qui ne sont pas liés à la crise sanitaire ont aussi été ajoutés [faut-il s’en réjouir ?] comme mocktail (cocktail sans alcool). Les acronymes, tels GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) et NATU (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber) y sont aussi !

L’écriture inclusive interdite à l’école

Réjouissons-nous ! c’est désormais officiel : l’écriture inclusive est proscrite dans les écoles par une circulaire publiée le 6 mai et adressée aux recteurs des Académies, aux directeurs de l’Administration centrale et aux personnels du ministère de l’Éducation nationale. Cette forme d’écriture est considérée comme un obstacle à la lecture et à la compréhension de l’écrit. Dans ce document, le ministre de l’Éducation nationale encourage néanmoins la féminisation des métiers et des fonctions et encourage les membres de l’Éducation nationale à participer à « la promotion et à la garantie de l’égalité entre les filles et les garçons. » Autant d’incitations auxquelles le CLEC s’associe.

Carte d’identité bilingue français-anglais : un symbole très fâcheux

À l’unisson des associations de défense de notre langue, nous le déplorons, mais les indications de la nouvelle carte nationale d’identité sont désormais traduites en anglais exclusivement. La directive précise que la traduction doit être faite dans une ou plusieurs langues de l’Union mais n’évoque pas de recours obligatoire à la langue anglaise. Le modèle français ignore ces limites et, plus encore, ne tient pas compte du Brexit qui a éloigné l’Angleterre de l’Union et par là même affaibli en son sein la position de la langue anglaise. « De surcroit, et c’est peut-être le plus grave, expliquent Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuelle de l’Académie française et l’académicien Frédéric Vitoux, les auteurs de ce projet ont oublié que la langue française est le marqueur premier de l’identité française, et ce qui unit la collectivité des Français. »

Conférence sur l’avenir de l’Europe

L’Observatoire européen du plurilinguisme (OEP) ouvre une plateforme Internet (futureu.europa.eu) pour faire savoir dans quelle Europe vous souhaitez vivre et contribuer à façonner notre avenir. L’OEP insistera notamment sur l’éducation (apprentissage de deux langues obligatoire en fin de secondaire pour le baccalauréat ou équivalent et dans l’enseignement supérieur) et auprès des institutions (« Le plurilinguisme européen est une question de respect des citoyens et d’exercice de la citoyenneté ; l’anglais ne saurait en aucune manière incarner l’Europe »).

 

Du côté de l’Académie

L’Académie française publie régulièrement les dérives de l’usage de la langue française  par nos grands communicants ou par notre entourage. En voici un aperçu extrait d’une publication récente sur son site (academie-francaise.fr).

Les sages recommandent de ne pas confondre « chenille ouvrière » (qui à notre connaissance n’existe pas) avec la cheville ouvrière, terme le plus souvent utilisé pour désigner la personne qui assure la bonne marche d’une affaire. Ils préconisent également de se méfier de la confusion entre les termes « inquisitoire », utilisé en lieu et place de celui d’inquisiteur. Le premier ne s’emploie que dans la locution « procédure inquisitoire », initiée à la seule initiative du juge, par opposition à « procédure accusatoire », dans laquelle les parties ont l’initiative de l’instance, de son déroulement et de son instruction.

 

Et si on les sauvait !

Voici quelques expressions désuètes, que l’on pourrait peut-être réhabiliter ?

« Être fagoté comme l’as de pique » désigne une personne mal habillée, sans recherche d’esthétisme. La première partie de la formule se comprend aisément : le fagot désigne un paquet de branchages ramassés à la va-vite..., mais pourquoi l’as de pique ? Bien que le pique symbolise, dans les jeux de cartes, le gout, le génie des arts, sa forme en fit songer certains, non dépourvus d’imagination, à celle du croupion de la volaille. L’association du fagot et du pique renforcerait l’idée de saleté et de manque de soin.

« Tailler une bavette », dans le sens familier de discuter, l’expression n’a aucun lien de famille avec la gent bouchère, comme aurait pu le dire en son temps le fabuliste castelthéodoricien ! C’est à la robe des avocats qu’elle se réfère. La bavette désigne le haut de la tenue de ces gens de loi (le rabat, plus précisément). Les avocats, tout autant que les avocates, ont la réputation d’être de hauts et beaux parleurs. De mauvaises langues ne les surnomment-elles pas des « baveux » ! (il n’aura échappé à aucun de nos lecteurs que l’illustration de la page 7 du numéro précédent était destinée à agrémenter le présent article…, nous ne la remettrons pas !)

« La semaine des quatre jeudis », la formule est utilisée pour indiquer une rencontre, un évènement qui ne se produira jamais. Les plus anciens de nos lecteurs s’en souviennent encore, naguère, le jour libre des écoliers n’était pas le mercredi, mais le jeudi. Le meilleur jour de la semaine, d’autant plus que l’Église permettait de faire gras ce jour-là. Aujourd’hui, on dirait « la semaine des quatre dimanches »… Et en effet, ça n’arrive jamais !

« Payer rubis sur l’ongle » signifie que l’on s’acquitte de sa dette en totalité et sans regimber. Étrangement, l’expression n’a rien à voir avec la pierre précieuse ; elle a trait à l’œnologie. On « fait rubis sur l’ongle » lorsque l’on vide son verre de vin rouge en n’y laissant qu’une seule goutte qui, une fois déposée sur l’ongle pourra être léchée. Le vin entièrement bu est devenu l’argent entièrement versé !

« Être soupe au lait », cette tournure lexicale est parfois utilisée pour qualifier une personne fort susceptible. De ce lait-là, on n’en boit plus ! Mais à une époque lointaine, jadis pour tout dire, à la soupe de légumes, la cuisinière ajoutait parfois du lait : « Tout ce qui rentre fait ventre », ne dit-on pas ? Et que fait le lait quand il bout ? Il déborde ! Comme les gens qui se fâchent à la moindre contrariété, qu’il faut « surveiller comme le lait sur le feu » !

Vive les vacances ou vivent les vacances ?

D’un point de vue grammatical, l’expression « vive (nt) les vacances » peut être analysée comme une indépendante au subjonctif exprimant un souhait et comparée à une phrase du type « périssent les traitres ! »

Le verbe s’accordera donc naturellement avec son sujet et l’on pourra écrire « vivent les vacances ». Cependant « vive » est aujourd’hui perçu plus souvent comme un simple mot exclamatif que comme un verbe traduisant un véritable souhait de longue existence, ce qui explique que ce terme tende à perdre sa valeur verbale et qu’on puisse le considérer comme une particule à valeur prépositionnelle : on le rencontre par conséquent fréquemment au singulier.

On a parfois voulu distinguer deux cas, d’une part, les noms de personnes, véritablement douées de vie, qui exigeraient l’accord. « Vivent les mariés ! » en est un bon exemple. Dans ce cas, c’est un substantif elliptique et il s’accorde avec le sujet.

D’autre part, les noms de choses. Dans ce cas « vive » est une exclamation, le terme est traité comme une interjection, il reste invariable : « Vive les sports d’hiver ! » L’usage littéraire contredit cette volonté et l’on trouve, indifféremment avec les personnes comme avec les choses, l’accord et l’invariabilité, comme c’était déjà le cas en latin où l’on pouvait rencontrer vivat et vivant.

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José Claveizolle

 

 

​N°305 (juin 2021)

 

Assez ! ai-je envie de dire.

Il n’aura échappé à personne que nous sommes submergés de communications et, en particulier, de communications audiovisuelles. Des expressions envahissent les conversations, ce que les professionnels de la communication appellent des « mots béquilles » ou « mots tuteurs ».

Voici d’abord celles qui sont toutes faites et vides de sens comme « j’ai envie de dire », « tu vois ce que je veux
dire  », « c’est que du bonheur ! », « c’est clair », « j’avoue », « c’est pas faux », « carrément » sans oublier la colonie de « euh », de « voilà » qui émaillent les discours non préparés.
Ensuite se place l’incontournable manie de termes anglophones à la place de termes francophones existants tels dressing à la place de penderie ou garde-robe, shopping à la place de courses, best of, au lieu d’anthologie ou de florilège…
Plus sournoises encore sont les traductions littérales comme « au final », mauvaise retranscription du latin in fine ou de l’anglais in the end. Un bon usage de notre langue devrait privilégier les formules telles que « finalement », « en dernier lieu », « en fin de compte », « en définitive »… Et que dire de « faire sens », hérité de l’anglais « to make sense » ? « Avoir du sens » ferait bien mieux l’affaire !
Poursuivons avec la compagnie des termes à la mode comme « gérer » (ou « se gérer ») à la place de maitriser,
« absolument », « tout à fait » pour un simple oui, « incontournable » pour inévitable ou « genre » (mais genre quoi ?).
Ne nous épargnons pas la litanie des « bref ! » utilisés en cheville ni celle des « voilà ! » en guise de conclusion. Profitons-en pour stigmatiser les automatismes tels que « poser question » à la place de « amener à nous interroger ». Nous nous garderons d’omettre l’envahissement des « sur » et des « on » à la place de
« nous » ou « vous » : ils font florès !
Enfin, la vedette de ce florilège revient à la novlangue, largement promue par les médias, truffée de formules à tout dire qui appauvrissent le vocabulaire : « je reviens vers vous », « pas de souci ». Le recours à l’universel
« revisiter » (de l’anglais to revisit) qui nous fait « revisiter » tantôt un article de la constitution, tantôt la recette de la bavaroise au chocolat ou l’approche lacanienne des concepts freudiens. Son usage évite aux plus paresseux d’avoir à choisir entre sept nuances sémantiques : adapter, changer, corriger, modifier, reconsidérer, rénover, revoir.
Plus insidieux sont les abus de langage avec des termes tels « dédié » (réservé), « initié » (débuté),
« opportunité » (occasion) et « en charge de » (chargé de) ou le très chic « produit phytosanitaire » à la place de pesticide.
Autre entourloupe à notre langue dont les médias nous rebattent les oreilles en lieu et place des expressions pourtant bien présentes en français : « prime time » pour « heure de grande écoute » ; « scoop »  à la place d’« exclusivité» ; « start-up » (jeune pousse), « sponsoring » (parrainage), « deadline » (heure limite, pour rendre un document, exécuter une opération…), « faire un pitch » (résumer).
Pour terminer ce tour d’horizon, ajoutons une mention spéciale aux mots en « -ing » (fooding, juicing, souping, phubbing, etc.). La mode en est apparue aux alentours des années 2000 ; elle a sévi dans le monde de l’entreprise, du commerce et de la communication avant de s’étendre plus largement dans le langage de tous les jours.
Toutes ces dérives montrent combien il faut être vigilant pour préserver notre patrimoine linguistique ! C’est un effort de chacun, qu’il faut accomplir chaque jour.



José Claveizolle

N°304 (mars 2021)

 

Faut-il traduire click & collect en français ?

 

Avec cette pandémie et la multiplication des clusters, les anglicismes ont la belle vie ! Une autre expression connait actuellement un regain d’intérêt notable, il s’agit bien sûr du click & collect. L’expression définit un système commercial qui permet à un client de passer une commande auprès d’un magasin avant d’aller la retirer sur place, évitant ainsi le cout des frais de port. Même le Syndicat de la librairie française (SLF), qui représente surtout les librairies de livres neufs, l’utilise dans ses communications. Quant aux membres du gouvernement, ils en usent et en abusent.

Probablement agacée par cet anglicisme qui prolifère comme la mauvaise herbe, l’Académie française prône des formes françaises comme « retrait en magasin », « retrait au volant » ou bien encore « service au volant ». De son côté, le Syndicat national de la librairie ancienne et moderne (SLAM) propose un système à la dénomination hybride : le clique et collecte. Son président, Hervé Valentin, estime « aberrant d’utiliser un tel anglicisme pour un secteur qui ne cesse de défendre la littérature française et la Francophonie ». Qui l’emportera à la prochaine occasion ?

 

Let’s Grau !, ou comment contourner la loi Toubon

 

Cédant à l’anglomanie ambiante, le Conseil d’État rejette la requête de l’association Francophonie Avenir (AFRAV), demandant au tribunal administratif de condamner l’utilisation de l’expression Let’s Grau sur l’ensemble de ses supports touristiques de la commune du Grau-du-Roi (Gard). L’avis est articulé sur l’article 14 de la loi du 4 aout 1994, dite loi Toubon dont le texte dit : « I. L’emploi d’une marque de fabrique, de commerce ou de service constituée d’une expression ou d’un terme étrangers est interdit aux personnes morales de droit public dès lors qu’il existe une expression ou un terme français de même sens approuvés dans les conditions prévues par les dispositions règlementaires relatives à l’enrichissement de la langue française.

Cette interdiction s’applique aux personnes morales de droit privé chargées d’une mission de service public, dans l’exécution de celle-ci.

II. Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux marques utilisées pour la première fois avant l’entrée en vigueur de la présente loi. »

Or, l’expression Let’s ne figure pas parmi les termes approuvés par la Commission d’enrichissement de la langue française et publiée au Journal officiel de la République française (JO). Ce qui revient à dire que tout mot ou toute expression anglaise n’ayant pas fait l’objet d’un équivalent publié au JO peut être utilisé sans vergogne par les personnes morales de droit public ! Ce qui ouvre de grandes perspectives à tous les angliciseurs forcenés !

 

Six more years à la mairie de Paris

 

On se souvient du Made for sharing (faits pour être partagés) écrit en lettres de feu sur la tour Eiffel lorsque la candidature de Paris aux Jeux olympiques 2024 fut officiellement retenue, en février 2017. Le coprésident du comité Paris 2024, Tony Estanguet, avait alors prétendu « donner un caractère universel au projet français ». Devant l’indignation de l’opinion publique, ledit comité a revu sa position en choisissant un nouveau slogan : « La force d’un rêve. » Pour autant, la municipalité parisienne, fraichement réélue, n’a, semble-t-il, pas renoncé à son penchant pour la langue anglaise. En effet, le premier adjoint, Emmanuel Grégoire, tout à la joie de cette heureuse issue, a manifesté son enthousiasme sur un réseau social en écrivant « six more years avec Anne Hidalgo ». C’est sans doute dans la langue anglaise que ce monsieur exprime le mieux ses émotions. Mais la moindre des politesses, quand on a été élu par des Français, pour les représenter dans une institution française, n’est-elle pas de s’adresser à eux en français ?

 

Les Lyonnai.se.s confronté.es.s à l’écriture inclusive

 

Qu’on se le dise ! Les nouveaux élus à la mairie de Lyon ont décidé d’adopter l’écriture inclusive. Ainsi on peut lire sur le site Internet de la municipalité des phrases telles que « En tant que citoyen.ne.s, les lyonnai.se.s sont représenté.e.s par les conseiller.ère.s municipaux.ales et les conseiller.ère.s des neuf arrondissements. »

Souhaitons que les citoyens de la cité aux trois fleuves ne manquent pas de rappeler à ces donquichottes de la langue que le précédent Premier ministre de la République française avait émis une circulaire s’opposant à cette écriture fantaisiste. L’édile de la capitale des Gaules pourrait également tenir compte de la protestation de l’Association pour la prise en compte du handicap dans les politiques publiques et privées (APHPP) qui estime que l’écriture inclusive « discrimine nombre de personnes en situation de handicap en leur rendant les textes inaccessibles ». Ajoutons que le CLEC désapprouve au plus haut point cette graphie imprononçable !

 

Ces Français qui saccagent leur propre langue

 

Dans la proposition de loi présentée par Philippe Berta, député de la 6e circonscription du Gard, on peut lire que, « par le truchement [de l’anglais], les collectivités s’emploient à se doter d’une image qui rende attractifs leurs territoires auprès de différents publics, résidents, investisseurs ou touristes ». Mais les investisseurs investiraient peut-être plus volontiers dans un pays capable d’affirmer ses valeurs. S’il suffisait de baragouiner quelques mots de mauvais anglais pour les voir accourir, nombre de pays anglophones verraient leur économie se porter mieux. Osons espérer que si les touristes viennent en France, c’est aussi pour la culture et la langue françaises. Les Anglais, et les Américains surtout, se moquent avec une pointe d’effarement de ces Français qui saccagent leur propre langue, et la leur la plupart du temps, en voulant les singer.

 

José Claveizolle

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