

Cercle Littéraire des Écrivains Cheminots

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Union Artistique et Intellectuelle des Cheminots Français
les chroniques ferroviaires
de notre revue
N°319 (décembre 2024)
Un projet d'infrastructure controversé : Lyon-Turin
Dès le xıxe siècle avec l’apparition des chemins de fer, l’Italie, en creusant de longs tunnels, a cherché à se raccorder aux pays voisins par plusieurs lignes ferroviaires traversant la chaine des Alpes. Ainsi, ont été mis en service, le tunnel du Fréjus (en 1871) sur la ligne de Lyon à Turin, celui du Saint-Gothard (en 1881) sur l’axe Bâle-Milan ; celui de l’Alberg (en 1884) sur l’axe Munich-Rome par l’Autriche et enfin celui du Simplon (1906) sur la ligne reliant Paris à Milan.
Ils ont quasiment tous été percés de main d’homme suivant le principe du « tunnel de faite », c’est-à-dire à l’altitude la plus élevée possible pour en diminuer la longueur. Ce modèle impose des lignes d’accès avec des rampes entrainant une exploitation difficile. Il faut soit utiliser plusieurs machines de traction, soit réduire le tonnage des convois.
Avec la modernisation des techniques de forage, le percement du massif alpin, ne se fait plus en partie haute de la montagne, mais à sa base (d’où l’expression « tunnel de base »). Ce principe est désormais mis en œuvre pour les tunnels ferroviaires, comme pour les tunnels routiers. C’est le cas pour le tunnel de base du Gothard, mis en chantier dès 1998, long de 57 km qui à ouvert en 2016 et pour celui du Brenner en cours de percement, et qui devrait ouvrir en 2025.
Comme dans la plupart des pays développés, les conflits autour des grands programmes d’infrastructures et des politiques d’aménagement se sont multipliés. La France n’échappe à ce phénomène : les projets du canal Rhin-Rhône, le tracé du TGV Nord, la création de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes à Nantes et plus récemment la création d’une voie rapide entre Toulouse et Castres sur le tracé de la future A69, ont suscité de vives réactions et font souvent la une de la presse. Il en va de même pour le projet de nouvelle liaison Lyon-Turin qui fait débat depuis plus de trente ans dans l’arc alpin.
Si l’on fait abstraction des mouvements qui eurent lieu en fin des années 1980 pour s’opposer au tracé prévu dans le département de l’Isère, l’opposition au projet de tunnel n’est vraiment apparue qu’en 2013 après les premiers travaux exploratoires et lorsque la section française a été déclarée d’utilité publique. Depuis, cette opposition ne faiblit pas. Pour les associations françaises ou italiennes, il ne s’agit pas de tout rejeter en bloc, mais d’interroger sur la pertinence de certains travaux afin de minimiser l’impact environnemental. Les associations de protection de la montagne remettent en question la politique des transports et dénoncent deux principes :
· La création systématique d’infrastructures comme les travaux titanesques pour le tunnel de base du Lyon-Turin au lieu de la rénovation des infrastructures existantes,
· Le percement d’un deuxième tube routier du tunnel du Fréjus permettant d’accueillir des flux toujours plus importants de véhicules, de camions surtout.
Né dans le contexte de la construction européenne, le projet vise à rééquilibrer la part du rail au détriment de la route pour des considérations environnementales, mais aussi pour des raisons de sécurité dans les tunnels (accidents dans les tunnels routiers du Mont-Blanc en 1999 — 39 morts, trois ans de fermeture ; et du Fréjus en 2005 — 2 morts, deux mois de fermeture), mais également sur les voies d’accès. Aujourd’hui encore, les passages de l’arc alpin restent majoritairement routiers. Et ceci en dépit des efforts déjà réalisés comme la mise en service du tunnel de base du Gothard.
L’origine du projet du tunnel de base du Lyon-Turin remonte à la fin des années 1980. Le réseau français à grande vitesse est en pleine expansion et les échanges internationaux de marchandises à travers les Alpes sont en forte hausse. Il repose sur la création de 270 km de ligne à grande vitesse pour un gain de temps estimé à une heure vingt. La ligne se présente plus rectiligne et se décompose en trois sections avec la section transfrontalière comprenant le tunnel de base du Mont-Cenis. Ce dernier est constitué de 164 km de galeries avec deux voies ferroviaires dans deux tubes parallèles de 57,5 km de long entre Saint-Jean-de-Maurienne (F) et Suse (I). À ce jour, 37 km ont déjà été creusés, dont 13,5 km pour le tunnel de base.
C’est en 1991 que l’accord intergouvernemental franco-italien sur une ligne à grande vitesse à travers les Alpes avait été signé avec comme objectif de relier les deux capitales régionales et de densifier les échanges entre les deux pays.
Concernant le financement du projet, les deux États ont mis en place en 2015 une société commune franco-italienne : TELT (Tunnel euralpin Lyon-Turin), maitre d’ouvrage, responsable de la construction et de la gestion de la nouvelle liaison transfrontalière ainsi que de l’entretien et de la gestion du tunnel historique du Mont-Cenis. Le cout pour le tunnel international est comparable à celui des tunnels de base du Saint-Gothard et du Brenner et s’élève à 8,3 milliards d’euros. Son financement est réparti entre l’Union européenne 40 %, l’Italie 35 % et la France 25 %. Ce qui représente donc un investissement de l’ordre de 2 milliards d’euros pour la France.
L’éboulement de terrain survenu en vallée de Maurienne le 27 aout 2023 et à cause duquel la réouverture de ligne a été reportée, sans date précise, montre combien il est important et urgent d’avoir une alternative ferroviaire pour les transports de voyageur et de fret. Le projet engagé doit également répondre aux prospectives pour écouler à terme les marchandises prévues sur le corridor européen de fret Algésiras-Barcelone-Lyon-Turin-Trieste-Budapest dont le tunnel de base de grande capacité est la pièce maitresse.
Si le processus de construction du tunnel semble irréversible après des débuts de percement en France et en Italie, le financement assuré, le développement du trafic avec un transfert route-rail encouragé, ne demeure qu’une seule incertitude : la date de son ouverture.
Prévue initialement et annoncée par la compagnie publique TELT pour 2032, eu égard aux retards pris, cette date sera-t-elle respectée ?
Joël Forthoffer
N°318 (septembre 2024)
Climat et résilience : perspectives ferroviaires
Vents violents, fortes pluies, foudre, grosses chaleurs, grands froids provoquent chaque année des milliers d’incidents, du retard de quelques minutes à la fermeture de voies pour remise en état et les tendances qui se dégagent des modèles de prévision climatique montrent un accroissement de la pression des aléas météorologiques sur le réseau ferroviaire. Les conséquences opérationnelles et financières du changement climatique sont encore mal connues.
Pour faire face à ces aléas climatiques, le secteur ferroviaire doit adopter des stratégies robustes et innovantes. Cela implique des adaptations techniques, des investissements dans les infrastructures et une planification à long terme. Par exemple, pour résister aux conditions climatiques extrêmes, il conviendra d’utiliser des matériaux résistants à la chaleur pour les rails, de construire des voies surélevées dans les zones inondables étendues, d’utiliser des équipements particuliers pour certains ouvrages de franchissement aériens (antisismiques, joints de dilatation…), de renforcer certains tunnels, de protéger des zones pouvant, désormais, être concernées par des effondrements de falaise.
La loi « climat et résilience » du 22 aout 2021 traduit une partie des propositions de la Convention citoyenne pour le climat. Elle complète ainsi la loi « Énergie et climat » adoptée le 8 novembre 2019 qui inscrit dans la loi l’objectif de la neutralité carbone en 2050. Quant au texte de la loi « climat et résilience », il a pour objectif essentiel la réduction des émissions de gaz à effet de serre et concerne de nombreux thèmes, dont les transports. Cette loi comprend un chapitre dédié à la promotion des solutions alternatives à l’usage individuel de la voiture. Elle présente des alinéas et mentions explicites sur les modes de déplacement perçus comme centraux, en vue d’atteindre les objectifs de réduction de gaz à effet de serre sur lesquels l’État s’est engagé.
· Le report modal, l’article 108 conforte la création de parkings relais dans les plans de mobilité et plan d’urbanisme. Il est précisé que ces documents doivent assurer « la localisation des parcs de rabattement à proximité des gares ».
· La politique tarifaire, l’article 127 prévoit que « la Région se fixe comme objectif d’assurer une uniformisation des titres de transports pour aboutir à un support multimodal permettant l’utilisation de tous les types de transports publics qu’elle a en charge d’organiser ».
· Les transports quotidiens figurent parmi les axes de développement et de décarbonations. Une attention particulière est apportée au transport ferroviaire avec le financement des services express régionaux métropolitains (SERM) initialement appelés « RER métropolitain » qui sont mis en œuvre à Strasbourg, Bordeaux et d’autres métropoles. Pour atteindre les objectifs, l’offre de transport en commun du quotidien doit progresser de 20 à 25 % d’ici 2030. Pour les autorités organisatrices de mobilités, la hausse des dépenses de fonctionnement serait de plus de 10 milliards d’euros d’après la mission d’information au Sénat, présentée en juillet 2023. Elle met en avant l’ouverture à la concurrence des services TER qui pourrait permettre des « gains de performance de 20 à 30 % », ce qui assurerait le développement de l’offre à cout constant. Concernant les trains d’équilibre du territoire (TET), des travaux de modernisation et de régénération accompagnés de l’achat de nouvelles rames devraient concerner principalement les lignes Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (Polt), Paris–Clermont-Ferrand, Bordeaux-Marseille. Des investissements pluriannuels à hauteur de trois-milliards d’euros auraient été annoncés par le ministre des Transports au Sénat.
· Le transport de voyageurs à longue distance, l’article 143 stipule : « Pour atteindre les objectifs d’augmentation de la part modale du transport ferroviaire de voyageurs de 17 % en 2030 et de 42 % en 2050 définis par la stratégie nationale bas-carbone, l’État se fixe pour objectif d’accompagner le développement du transport ferroviaire de voyageurs. ». Pour y parvenir, la loi interdit les vols réguliers intérieurs en cas d’alternative en train d’une durée de moins de deux heures trente. Selon le Sénat, huit lignes intérieures, exploitées par Air France avant la crise sanitaire, sont concernées : trois desservant Orly (Bordeaux, Lyon et Nantes), quatre desservant Roissy CDG (Bordeaux, Lyon, Nantes et Rennes) ainsi que la liaison Lyon-Marseille.
L’article 146 limite les autorisations d’extension des capacités aéroportuaires avec quand même un certain nombre de réserves.
· Le développement du fret ferroviaire et fluvial d’ici 2030 (art 131) ; la loi fixe pour objectif « de tendre vers le doublement de la part modale ». Dans son discours au Sénat, le ministre des Transports fait référence aux investissements à hauteur de quatre-milliards d’euros, prévus sur dix ans dans les infrastructures ferroviaires.
Avec les objectifs très ambitieux dans les différents domaines, il n’est pas simple de s’y retrouver. Mais la mise en œuvre de ces stratégies de résilience et de développement durable, bienvenues au demeurant, nécessite des investissements considérables. Le transport ferroviaire est un secteur de temps long. Il l’est tout autant pour les gestionnaires d’infrastructures, les transporteurs que pour les filières industrielles. Et s’il n’y avait qu’un effort essentiel à faire en faveur du transport ferroviaire, c’est sur la régénération et la modernisation du réseau, certes invisible, mais dont les conséquences se font sentir au quotidien des voyageurs qu’il devrait porter.
Hélas, nous le disons souvent ici, le « mur d’investissement » pour décarboner, moderniser et densifier les mobilités et les transports se chiffre en milliards d’euros. Dans une conjoncture économique difficile, la question du financement est donc déterminante.
Joël Forthoffer